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Un an d'Anselme


Nous y voilà … un an déjà … on pourrait vous dire que cette année correspond à x tonnes de produits locaux distribués, à xx personnes nourries, ou encore à xxx km économisés etc., etc. Bref entrer dans un exercice d’autocongratulation chiffres à l’appui.

Mais si l’on prend le temps d’écrire, ce n’est pas pour cela, mais pour partager sincèrement avec vous cette expérience.




L’un des premiers sentiments qui vient, en se retournant sur cette première année (on pense aux vers d’Antonio Machado dans son poème Caminante « Y al volver la vista atras, se ve la senda que nunca se ha de volver a pisar »), c’est la fierté (ben oui !).

La fierté de faire une activité dans laquelle on croit, de créer une entreprise qui propose un autre fonctionnement, d’autres relations. Que cela soit avec les producteurs, avec nos clients ou tout simplement avec vous qui nous lisez. On a envie d’une entreprise humaine, qui crée des liens basés sur la confiance et l’échange.

Alors, on est fiers lorsque plusieurs producteurs nous recommandent à leurs clients : on se dit que l’on a réussi à tisser avec eux une relation de confiance et de respect. De même, on est heureux lorsque vous nous écrivez pour nous proposer de nouvelles idées. Quand vous nous poussez sur la question des emballages pour les yaourts. Quand vous nous donnez vos contacts producteurs. Quand vous nous demandez de tester les sacs en tissus pour les légumes (on vous en parlera bientôt). Bref, lorsque vous nous faîtes part de vos idées et que vous vous tournez vers nous avec cette envie commune de sortir de ce modèle de consommation verticale. Dans ces moments, on se sent fiers de votre confiance.

Et cette fierté devient intense en réalisant que ces petites initiatives ont une traduction concrète : celle d’avoir une activité rentable au bout de neuf mois. Lorsque l’expert comptable nous a envoyé un bilan intermédiaire (merci Jean !!) avec un résultat final positif, certes modeste mais positif, c’est simple Marie a pleuré !


L’autre sentiment, c’est la joie. La joie quotidienne d’acheter des produits que l’on aime, de les goûter, de faire vos paniers, de vous les livrer. C’est une joie simple et profonde, moins enfantine qu’il n’y paraît. Manipuler ces produits colorés et gouteux, qui sentent bon, composer des paniers que vous aurez plaisir à recevoir, voir les regards qui s’allument quand on vous livre (ah la petite lueur du « miam !! » dans les yeux J). Il y a une part esthétique et sensorielle dans cette activité qui nous plaît et que l’on espère réussir à vous transmettre.


Cette entreprise, c’est aussi des questions et des doutes. C’est le dilemme sans cesse renouvelé entre une éthique de conviction et une éthique de responsabilité (rassurez-vous, le concept ne vient pas de nous mais de Max Weber, sociologue allemand !). Faut-il agir uniquement selon ses principes, en dépit des résultats (ou de l’absence de résultats), ou selon les effets que l’on souhaite obtenir, quitte à parfois transiger sur ses principes ? C’est finalement un dilemme propre à toute entreprise, que l’on soit une grande chaîne de magasins alimentaires ou le Comptoir d’Anselme

Evidemment on n’a pas LA réponse parfaite et toute faite. On ne se permettra jamais de faire la leçon à quiconque. On souhaite juste partager des exemples concrets.

Le premier, vous le connaissez, c’est celui des emballages. Quand on a choisi de livrer les commandes dans des cagettes en bois, réutilisables, produites dans la région, selon un principe de confiance (c’est à dire sans consigne), on s’est dit que c’était un non-sens économique. Les cagettes nous coûtent un euro pièce, quand les sacs en kraft (recyclables certes, mais jetables et produits hors de France) coûtent entre 15 et 20 cts. Le calcul est vite fait …

Et là, on a fait primer l’éthique de conviction sur celle de responsabilité. Un an après, on se dit qu’on a eu bougrement raison car maintenant on rentre des tournées de livraison avec autant de cagettes qu’on en a distribuées :)

Généralisez l’expérience nous direz-vous alors ! Eh bien peut-être pas, car sur l’épicerie, pour l’instant on est à perte : les bocaux de pâtes et de farine ne nous reviennent pas suffisamment (c’est un doux euphémisme …), et à ce jour chaque kilo de farine vendu nous en coûte le double (et ce, sans avoir intégré le coût de la livraison dans le calcul …).


Deuxième exemple, la viande. C’est le dilemme du moment. La viande, en distribution locale et directe c’est complexe.

Pourquoi ? Parce que tout le monde (du moins parmi les omnivores) souhaite manger les mêmes morceaux : l’entrecôte, la côte, le rôti, le magret, le filet etc., et peu sont ceux qui ont envie du jarret, du paleron ou de la queue. Mais justement dans l’envie de consommer local et responsable, il y a l’idée sous-jacente de ne pas gaspiller et de rémunérer le producteur à la hauteur de son travail. Et donc de ne pas abattre un animal pour « rien ».

Deux conséquences concrètes. Un, nos prix pour les viandes de bœuf, de veau, d’agneau sont élevés, on le sait et c’est pour cela que l’on vous a proposé d’acheter la viande par colis (là, on a fait un gros flop, on vous le dit !!). Deux, on réfléchit à travailler avec le boucher de notre village, Jérôme Serres. Ancien chef étoilé, Jérôme travaille des viandes locales, toutes en Label rouge. Travailler avec lui signifie résoudre la question du gaspillage alimentaire tout en conservant, voire en améliorant, la qualité de ce que l’on vous proposerait ; mais cela signifie aussi ne plus être en direct d’un producteur agricole, mais d’un artisan local … alors que fait-on ?


Voilà, c’est cela un an d’Anselme, un mélange de joie, de fierté, de doutes, de questions et de remises en questions. Mais surtout, la certitude d’être sur le bon chemin.


Allez on ne résiste pas à citer l’intégralité du poème d’Antonio Machado :


Caminante no hay camino

Todo pasa y todo queda

Pero lo nuestro es pasar

pasar haciendo caminos

caminos sobre la mar.


Caminante son tus huellas

el camino y nada más,

caminante, no hay camino

se hace camino al andar.


Al andar se hace camino,

y al volver la vista atrás

se ve la senda que nunca

se ha de volver a pisar.


Caminante no hay camino

sinon estelas en la mar.

Caminante no hay camino

Se hace camino al andar.